Avec l’expérience et mes nouvelles connaissances en neurosciences et sciences cognitives (prise de décision, attention, surcharge cognitive et apprentissage), je prends conscience qu’il nous arrive souvent de questionner sans nous être assurés préalablement de la disponibilité attentionnelle de nos interlocuteurs. Or sans attention, le coach n’existe pas et ses questions encore moins !

De la perception à la représentation du monde

Nous baignons, chacun d’entre nous, dans un environnement que nous appelons le monde. Tant que notre attention n’est pas portée sur un élément, il n’existe pas pour notre conscience.

La perception (perceptum : ce qui est recueilli) du monde est la somme des informations fournies par nos sens à notre inconscient. Cette perception évolue en permanence puisque nos environnements changent tout le temps. L’attention est un filtre qui va porter à notre conscience les éléments dits singuliers pour se construire une représentation (repraesentere : rendre présent) du monde. Dit autrement, l’attention rend existant une partie du monde qui nous entoure.

Le filtre de l’attention agit de façon inconsciente – et c’est pourquoi l’attention est dissociable de l’accès à la conscience. Dans la vie de tous les jours, notre environnement est souvent saturé de stimulations de toutes sortes, et nous utilisons alors l’attention afin de sélectionner celles qui méritent d’accéder à notre conscience. »

Source : Le Code de la conscience, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2013

Notre cortex préfrontal peut moduler notre cortex visuel (situé à l’arrière du cerveau et spécialisé dans l’analyse des objets et des formes) pour activer certaines sensibilités (formes, couleurs…) plus que d’autres. Ainsi, les éléments de notre environnement considérés comme moins prioritaires ne seront pas traités de manière approfondie [1].

Dès que nous cherchons à faire quelque chose, cette intention [contrôle “volontaire” de l’attention] établit une hiérarchie entre tous les signaux qui parviennent à nos sens et ceux qui ne sont pas jugés importants pour cette tâche sont autant que possible ignorés. »

Source : Le cerveau et les apprentissages, Olivier Houdé, Grégoire Borst et col., Nathan, 2022 / Chapitre 5 L’attention par Jean-Philippe Lachaux

Si j’ose une comparaison simpliste, notre attention est comme un appareil photo reflex avec lequel nous pouvons choisir le focus (l’intention). Pour rendre plus concret ce principe, prenons la photo ci-dessous.

Pourquoi est-il difficile d'apprendre le Lean ? Image : Juan Rumimpunu / Unsplash

Source : Juan Rumimpunu / Unsplash

Vous constatez que le singe en lui-même est net. Le paysage autour, quant à lui, est flou. Ici, nous pouvons considérer que votre attention s’est portée (intention) sur le singe. Pour votre cerveau, tout ce qui est derrière le singe n’est pas pertinent, il peut donc s’en passer. On parle de singularisation. C’est cette dernière qui permet de porter à notre conscience (représentation) le singe qui a été perçu (perception) inconsciemment par notre sens (vue).

Comme l’écrit Stanislas Dehaene, « notre cerveau élimine impitoyablement toutes les informations dépourvues de pertinence pour n’en retenir qu’une seule qui soit la plus saillante ou la plus adaptée à nos buts actuels. Ce stimulus est alors amplifié jusqu’à prendre le contrôle de notre comportement ». [4]

La croyance de l’attention

La question « Êtes-vous attentifs / prêts ? » ou l’injonction « Votre attention, s’il vous plaît ! » habituellement utilisées ne suffisent pas. Dans les 2 cas, nous obtenons des mouvements corporels (les regards se tournent vers nous) qui laissent à penser que l’attention est captée. Mais les personnes sont-elles réellement disponibles pour nous écouter ? Rien n’est moins sûr !

Il y a une différence notable entre entendre et écouter. Entendre est l’action de percevoir les sons par l’oreille. Écouter se définit comme entendre volontairement ; c’est-à-dire avec une intention (du latin classique intendere : tendre vers), se donner délibérément un but.

C’est comme voir (action de percevoir par la vue) et regarder (diriger volontairement ses yeux sur quelqu’un ou quelque chose pour le voir).

J’entends souvent des injonctions du type « Vous les voyez les gaspillages ? » (ou autres flux, valeur…). La personne qui pose la question a bien évidemment la réponse, car son attention a singularisé et porté à sa conscience les fameux gaspillages. Les personnes devant répondre n’ont probablement pas la même représentation de la situation. La singularisation s’est sûrement réalisée sur d’autres éléments de l’environnement et le reste considéré comme non pertinent a été éliminé. Du coup, les réponses des personnes ne sont pas celles attendues.

La distraction ou le détournement de l’attention

Comme déjà évoqué, notre inconscient réceptionne les informations environnementales fournies en permanence par nos sens. C’est seulement quand un des éléments de cette masse de données est considéré comme important qu’il sera singularisé et porté à notre conscience.

Le sens qui capte le plus d’information de notre environnement est la vue. Notre regard ne cesse de sauter d’un endroit à un autre et change en permanence notre perception de notre environnement. Chaque nouvelle perception entraine une action, physique ou non. Cela se passe dans le colliculus supérieur (structure sous-corticale). Il contient à la fois « des neurones dits visuels, qui reçoivent directement l’information en provenance de la rétine, et d’autres dits moteurs, capables de mettre en action les muscles des yeux pour orienter le regard. » [6]

P.S. : je ne rentre pas plus dans les détails biologiques pour ne pas perdre votre attention 😉

Le stimulus

La distraction (distrahere : tirer de plusieurs côtés) ne veut pas forcément dire s’amuser. C’est perdre sa concentration, qui est le moyen de tenir son attention dans la durée. Une pensée, qui est un stimulus interne, peut capter notre attention, tout comme un stimulus externe.

Comme nous ne pouvons pas avoir 2 intentions d’attention, notre attention est alors « écartelée » (tirer de plusieurs côtés). La première intention perd de son importance si notre inconscient le décide et l’attention suivra alors la deuxième intention.

La sentinelle

Notre cerveau utilise un système de neurones sentinelles. Ce « système capable d’attirer l’attention de manière automatique vers des événements potentiellement importants » hors de notre champ de conscience a permis à notre espèce de survivre jusqu’à aujourd’hui [1].

Patrick Lemaire l’explique également : « Il est tout à fait compréhensible que, par exemple, face à un prédateur, il importe au système de le détecter rapidement pour décider qu’elle action engager afin de maximiser les chances de survie de l’organisme. » [3]

Pour Lachaux , « ce système est dit préattentif parce qu’il agit sur ce à quoi nous ne prêtons pas (encore) attention. » [6] Les éléments qui font réagir ce système sont dits saillants car ils attirent spontanément notre attention [2] en moins d’une demi-seconde pour réagir et éviter le danger.

Les émotions

Plusieurs études et recherches expérimentales mettent en évidence que nos émotions influencent l’orientation de l’attention.

Par exemple, nous savons que nous portons plus rapidement notre attention sur un élément émotionnel qu’un élément neutre en émotion. De plus, une émotion (ce qu’on appelle la valence émotionnelle) négative tend à accélérer la recherche visuelle par rapport à une valence émotionnelle positive. [3]

La distraction, la vraie !

Nous ne pouvons pas oublier les vraies distractions (téléphone, les notifications de différentes applications, jeux…) qui elles déclenchent le circuit de la récompense, c’est-à-dire la délivrance de la Dopamine (neurotransmetteur) par le cerveau. Le circuit de la récompense s’habitue plus rapidement aux environnements riches en récompense immédiate que ceux moins attrayants comme écouter une conférence, répondre à des questions d’un coach (même si vous avez décidé de participer)… [6]

Le stress

N’oublions pas non plus la surcharge cognitive (évoquée dans l’article Formation : la maîtrise du geste pour réduire la charge mentale) et le stress (Noradrénaline + cortisol) qui ne permettent pas un traitement efficace de l’information.

J’ai souvenir d’avoir vu (et d’avoir entendu des histoires du même acabit) des coachs avoir des propos agressifs et virulents envers des personnes qu’ils accompagnaient. Ce comportement déplacé et très loin du respect des personnes ne pouvait qu’engendrer du stress. Le coach pensait certainement qu’en étant agressif, la personne mémoriserait mieux, ce qui est une erreur. En effet, le stress génère automatiquement une « fermeture » du système cognitif et met tout le corps en alerte pour fuir ou combattre l’élément stresseur.

Le cerveau de la personne agressée verbalement va mémoriser l’événement et son environnement (l’endroit, les odeurs, les sons…). Autant de marqueurs qui seront très certainement réactivés lors de prochains coachings et qui, de facto, empêcheront la personne d’avoir une bonne attention.

Pour citer une nouvelle fois Stanislas Dehaene, « le sentiment d’être apprécié, mais aussi la conscience de progresser apportent leur propre récompense. À l’inverse, bannissons l’anxiété et le stress qui bloquent les apprentissages. » [8]

L’effort

J’aurais pu mettre cette partie dans les émotions ou le stress, mais je préfère singulariser l’effort pour mettre en évidence que répondre à une question déclenche une consommation d’énergie non négligeable pour notre cerveau.

Pour tout un chacun, répondre à une question constitue un réel effort d’attention et de concentration. C’est au prix d’une navigation entre la question et les fragments de conscience et de rationalité “stockée” que va se jouer le sort d’une réponse, qu’il va s’agir encore de construire et formaliser… Tout en gardant en tête (si possible ?) le contenu exact ( et le sens) de la question posée. »

Source : Les techniques de questionnement 8e édition, Marie-Josée Couchaere, Lionel Bellenger, ESF Sciences humaines, 2021

La manipulation de notre attention

Nous aimerions tous être un Apollo Robbins bis pour capter immédiatement l’attention du public. Dans cette vidéo de 8 minutes, nous pouvons le voir manipuler l’attention du cobaye et du public. Je suis certain que vous allez être suffisamment concentré pour maintenir votre attention pendant ces 8 minutes 😁

Apollo Robbins

L’intention de l’attention

Comme nous l’avons vu tout au long de cet article, l’attention nécessite une intention. Cette dernière est soit créée par un stimulus interne (une pensée, une douleur, la volonté de regarder quelque chose…), soit par un stimulus externe (notre environnement).

Il existe plusieurs exercices pour mettre en évidence l’importance de l’intention. Je vous propose l’expérience de Daniel J. Simons pour rendre concret ce principe de contrôle volontaire de l’attention. Si vous souhaitez la regarder, je vous invite à bien porter votre attention (regarder) sur les joueurs en blanc et à compter le nombre de passes que ces joueurs en maillot blanc réalisent.

Selective attention test by Daniel J. Simons, 1999

Alors ? L’avez-vous vu ou pas ? Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas grave. Si vous ne l’avez pas vu, c’est que votre système attentionnel fonctionne bien puisqu’il aura fait abstraction des joueurs habillés de noir.

Il y a encore beaucoup de matière à dire sur l’attention, mais je vais m’arrêter là pour cet article. En espérant avoir déclenché une certaine curiosité.

Au fait, lors de votre prochaine formation ou coaching, posez-vous la question : « Suis-je en train d’exister pour les personnes en face de moi ? ». Je sens un doute s’installer en vous 😉

Livres / articles cités :

  1. Le cerveau et les apprentissages, Olivier Houdé, Grégoire Borst et col., Nathan, 2022 / Chapitre 5 L’attention par Jean-Philippe Lachaux
  2. From thought to action: the parietal cortex as a bridge between perception, action and cognition, J. Goettlieb, 2007
  3. Émotion et cognition, Patrick Lemaire, De Boeck Sup, 2021
  4. Le Code de la conscience, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2013
  5. Les techniques de questionnement 8e édition, Marie-Josée Couchaere, Lionel Bellenger, ESF Sciences humaines, 2021
  6. Le Cerveau funambule, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2015
  7. Le cerveau attentif ; Contrôle, maîtrise et lâcher-prise, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2011
  8. Apprendre !, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2018

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