On parle beaucoup de charge mentale, de surcharge cognitive, de fatigue cognitive quel que soit le domaine d’activité. En mélangeant pratiques Lean, neurosciences et sciences cognitives, nous apporterons un nouvel éclairage sur la Formation : la maîtrise du geste pour réduire la charge mentale.
Il y a peu de temps, j’avais publié un article faisant une rapide synthèse des difficultés pour apprendre et faire apprendre le Lean vues sous l’angle des neurosciences et sciences cognitives. C’était un point de départ. Je vais développer plusieurs articles pour entrer plus dans le détail tout en continuant de rapprocher Lean, neurosciences et sciences cognitives.
La charge mentale
La charge mentale peut être générée par plusieurs mécanismes tels que l’apprentissage, le multitâche – impossible pour notre cerveau, rappelons-le – qui oblige à switcher d’un sujet à un autre, la pression de l’erreur, l’attention trop longue… Et tout cela se traduit par des changements dans notre cortex préfrontal.
Lorsque le cerveau est confronté à plusieurs objectifs simultanés et contradictoires, le système exécutif doit normalement intervenir pour donner clairement la priorité à l’un d’entre eux, et s’il ne le fait pas, la situation est bloquée : aucune action ne pouvant satisfaire tous les objectifs à fois, toutes les actions envisagées, consciemment ou inconsciemment, sont considérées comme des erreurs par des structures comme le gyrus cingulaire antérieur. Le corps se tend sous l’influence contraire de plusieurs propositions d’actions contradictoires. »
Source : Le Cerveau attentif, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2011
Selon Jean-Philippe Lachaux[6], « pour que le cortex préfrontal fonctionne correctement, les niveaux des neurotransmetteurs noradrénaline [stress] et de dopamine [circuit de la récompense] ne doivent être ni trop élevés ni trop faibles. »

Lorsque le cortex préfrontal est activé, c’est une indication que la tâche n’est pas facile et requiert une attention et un contrôle soutenus. Plus une tâche est difficile et exige de la concentration, plus le cortex préfrontal s’active et plus le cerveau subit une charge cérébrale importante. Comme la charge que peut gérer le cerveau est limitée, le cerveau peut entrer dans un état de surcharge lors duquel le traitement efficace de l’information n’est plus possible. »
Source : Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner, Steve Masson, Odile Jacob, 2020
« La fatigue cognitive ne se traduit donc pas par une perte des capacités de contrôle, mais par une augmentation du coût lié à l’exercice du contrôle » selon Mathias Pessiglione[7]. « Tout se passe donc comme si, avec la fatigue cognitive, on supportait moins bien l’attente, même si, à l’état de repos, on considère que cette attente vaut la peine. »
Voilà pourquoi, nous cherchons des récompenses rapides et le fameux verre d’alcool (ou non) pour se détendre en fin de journée au lieu d’espérer des récompenses plus importantes le jour suivant[7].
C’est ce même cortex préfrontal, et son copain le pariétal, qui nous empêchent à juste titre d’être multitâche, car leurs réseaux de contrôle exécutif sont « un goulot d’étranglement cognitif : ils ne peuvent pas faire deux choses à la fois. Pendant qu’ils se concentrent sur l’exécution d’une tâche donnée, toutes les autres décisions conscientes sont ralenties ou abolies »[2]
Je ne vais pas entrer plus dans le détail de la surcharge cognitive. Retenons que cela se passe dans le cortex préfrontal et que les causes sont multiples. Une mauvaise maîtrise d’un geste, d’une habitude entre dans ces causes.
Apprendre un geste jusqu’à son automatisation
Concernant les principes-clés de l’apprentissage, je me permets de vous renvoyer sur l’article Comprendre le cerveau pour aider à apprendre. Il vous éclairera suffisamment pour avoir en tête les techniques et fonctionnements de l’apprentissage.
Après une formation, nous avons le sentiment de savoir faire, comme si la compétence était acquise. La plupart du temps nous n’arrivons pas à accomplir le geste, la tâche et nous devons nous référer au support de formation. Pourtant, la formation a modifié nos connexions neuronales. Cependant, ces connexions (nouvelles ou modifiées) sont encore fragiles et nous sommes hésitant dans nos manipulations.
Par ailleurs, comme nous le rappelle Steve Masson, « même lorsqu’on est capable de répondre à une question ou de résoudre un problème lié à l’apprentissage visé, c’est-à-dire même lorsque les connexions neuronales sont suffisamment fortes, l’apprentissage n’est pas terminé »[1].
Je reprends encore mon exemple de l’apprentissage de la conduite. Souvenez-vous de vos premières heures après l’obtention de votre permis. Vous pensiez (conscience) à chacun des gestes à faire (ou ne pas faire), dans un ordre à respecter… Votre apprentissage n’était pas terminé, ce n’était que le début !
Le fait de penser aux différentes étapes d’un geste, à des contrôles d’une tâche en cours d’exécution entraîne automatiquement une activité du cortex préfrontal via les réseaux de contrôle exécutif.
Que l’on lise Masson, Dehaene, Lachaux, Pessiglione (et d’autres), tous nous amènent au surapprentissage (Masson), à l’apprentissage par renforcement (Lachaux) et à la consolidation (Dehaene). Le but étant de continuer d’apprendre même après être devenu capable d’accomplir la tâche pour renforcer un peu plus les connexions neuronales, mais également pour réduire l’effort, la charge cognitive.
Nos gestes sont initialement sous le contrôle du cortex préfrontal : nous les produisons lentement, consciemment, un par un. Au bout de quelques séances, tout effort a disparu, et nous pouvons parler ou penser à autre chose : l’activité motrice s’est transférée dans le cortex moteur et surtout dans les noyaux gris centraux, un groupe de circuits sous-corticaux qui enregistrent nos comportements automatiques et routiniers. »
Source : Apprendre !, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2018
L’automatisation libère le cortex préfrontal
Nous savons qu’une activation du cortex préfrontal est une indication que la tâche à réaliser n’est pas facile. Apprendre en est une, car elle nécessite une attention particulière.
Ce que nous découvrons, c’est qu’ « une diminution de l’activité du cortex préfrontal peut donc être vue, dans le contexte d’un nouvel apprentissage, comme étant bénéfique et indiquant une diminution de la charge cérébrale nécessaire pour accomplir la tâche »[1].
Au début de l’apprentissage, notre cortex préfrontal est généralement activé. Par la force de la répétition (apprentissage par renforcement), cette activation diminue. C’est la consolidation : « passer d’un traitement lent, conscient, avec effort, à un fonctionnement rapide, inconscient, automatique. »[2]

Stanislas Dehaene a cette phrase très explicite : « Consolider un apprentissage, c’est rendre les ressources du cerveau disponibles pour d’autres objectifs. » [2] Dit autrement, « après quelques années de surapprentissage, nos connexions neuronales dédiées à cet apprentissage passent en mode routine et parviennent à fonctionner sans la moindre intervention consciente. » [2] Ce que montrent très bien les schémas ci-dessus.
Pour le cerveau, l’acquisition d’une habitude est une forme d’apprentissage : les réseaux de neurones produisant des actions qui donnent satisfaction sont renforcés et stabilisés, pour être plus facilement déclenchés à l’avenir et dans le même ordre ; c’est le principe de l’apprentissage par renforcement. »
Source : Le Cerveau attentif, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2011
Les habitudes, ou les routines pour Dehaene, sont une compilation des différentes actions à réaliser et dans un ordre bien précis. Notre cerveau leur dédie des réseaux hyperspécialisés de neurones, qui nécessiteront moins d’effort lors des déclenchements suivants. Il (le cerveau) transfère ces habitudes « dans d’autres région du cerveau où elles pourront se dérouler inconsciemment, en toute autonomie, sans perturber les autres opérations en cours. »[2]
Ne nous trompons pas
Tant que la connaissance n’est pas parfaite, le cerveau continue d’apprendre, même faiblement. Tant qu’il y a de l’incertitude, il y a de la surprise et des signaux d’erreur qui se propagent dans notre cerveau. L’incertitude agit comme une erreur virtuelle que nous aurions pu commettre et dont nous pouvons donc apprendre. »
Source : Apprendre !, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2018
Il convient donc de s’assurer qu’il n’y a pas d’incertitude, de doute ou de questionnement. Dans le cas contraire, notre cortex préfrontal restera actif, moins qu’au début de l’apprentissage, mais actif quand même. Suffisamment pour contribuer au stress et au sentiment de surcharge cognitive.
Task set et set attentionnel
Le task set peut se représenter[6] comme une association d’un ensemble de stimuli avec un ensemble de processus moteurs ou cognitifs selon un ensemble de règles de type « si A se produit, alors faire B ». Notre cerveau est donc en capacité de réagir d’une façon donnée à un stimulus donné (association stimulus-réponse définissant une tâche) et ce sans passer par le cortex préfrontal.
Maîtriser le geste parfaitement n’est pas suffisant, Jean-Philippe Lachaux[6] explicite l’intérêt de qu’il appelle le set attentionnel (en lien direct avec le task set), c’est-à-dire « toutes les informations sensorielles que l’individu doit prendre en considération pour réaliser correctement la tâche et, par exclusion, tout ce que l’individu peut ignorer sans craindre pour sa performance. »
Admettons que pour une tâche donnée, la personne doit agir – quel que soit le geste – quand elle entend un clic ou lorsqu’elle voit une lumière verte. Le set attentionnel va permettre au cerveau de celle-ci d’avoir temporairement une hypersensibilité au son du clic ou à la lumière verte.
Le set attentionnel se traduit dans notre cerveau par une forme de préparation des régions cérébrales spécialisées dans le type d’information à traiter. C’est à cause (ou grâce) au set attentionnel qu’un même événement peut être vu par une personne et pas par une autre. Même si elles regardent la même chose, leur attention n’est pas posée de la même manière.
La maîtrise du set attentionnel est importante pour éviter de créer des incertitudes pendant l’exécution automatique d’une habitude. Il peut être opportun d’avoir, pendant les formations aux gestes, des environnements les plus proches possible de ceux de réalisation / production.
Celles et ceux qui maîtrisent le Lean / TPS (également le TWI) auront compris que la formation au poste de travail reste la meilleure façon de développer et maîtriser le set attentionnel. Avec un oeil aiguisé, on comprend que notre cerveau peut déclencher la bonne action, au bon endroit, au bon moment avec le moins d’énergie possible. Un super Just-In-Time !
Bien évidemment, je ne peux pas tout écrire ici, mais vous voilà déjà avec quelques éléments pour comprendre comment en formation, la maîtrise du geste peut réduire la charge mentale.
Lecture complémentaire : Arc sensibilise à la résolution de problème avec la neuropédagogie.
Livres / articles cités :
- Activer ses neurones pour mieux apprendre et enseigner, Steve Masson, Odile Jacob, 2020
- Apprendre !, Stanislas Dehaene, Odile Jacob, 2018
- La plus belle histoire de l’intelligence, S. Dehaene, Y. Le Gun, J. Girardon, Robert Laffont, 2018
- Brain Modus Operandi, Guillaume Attias
- Le Cerveau funambule, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2015
- Le Cerveau attentif, Jean-Philippe Lachaux, Odile Jacob, 2011
- Les vacances de Momo Sapiens, Mathias Pessiglione, Odile Jacob, 2021
- Cours de neurosciences Licence 3, Master, Santé, D. Richard, Y. Gionni, M. Gauthier, JF. Camps, D. Eugène, Dunod, 2021
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