Comme déjà expliqué dans ma bio et mes articles, ma première rencontre avec le Lean fut une confrontation avec le côté obscur du faux Lean ; son côté le plus sombre. De nature curieux, j’ai creusé le sujet et découvert qu’il existait autre chose que cet ersatz. Le Lean, celui issu du TPS (Toyota Production System) et du Toyota Way de Toyota. C’est pourquoi, je vous partage ces 4 critères pour détecter un faux Lean ou comment trouver le chemin du vrai pour développer les personnes et satisfaire pleinement les clients.
Il existe une multitude de critères permettant de détecter si la démarche s’appuie sur un faux Lean. L’idée n’est pas de tous les lister, mais juste de se poser 4 questions qui pourront vous aider : les clients, les équipes, la qualité, le management.
Tout d’abord, tuons le mythe qui ne fait que développer le faux Lean. Certains disent que “Lean is primarily about doing more with less, which means reducing cost. It’s an efficiency programme”. Ce à quoi Jeffrey Liker répond :
Lean is about engaging people, developing people to do great things and that could be anything, it could be quality of service, safety or morale. If you limit yourself to efficiency then you’re not going to get the full benefits of lean. »
Source : Le Modèle Toyota : 14 principes qui feront la réussite de votre entreprise, Jeffrey Liker, Pearson, 2012
Dans la 2e édition (2021) de son livre Le Modèle Toyota 14 principes de Management, il met vraiment en évidence les conséquences de dénaturer le Lean :
Nous commencerons par rejeter la notion largement répandue et simpliste du lean comme programme d’utilisation d’outils visant à éliminer les gaspillages des processus. Si c’est ainsi que l’envisage votre entreprise, vous êtes condamné à des résultats médiocres, et il est probable que vous vous enticherez de la prochaine idée à la mode avec des résultats tout aussi médiocres. »
Source : Le Modèle Toyota : 14 principes de Management 2e édition, Jeffrey Liker, Pearson, 2021
Art Byrne (et tant d’autres) n’en dit pas moins :
Start by getting any thought out of your head that lean is some form of cost-reduction program. »
Source : Ask Art: I Want to Convert My Company to Lean. What Are the First Steps?, Art Byrne, Lean Enterprise Institute, 2021
Cela vous donne déjà une bonne idée pour identifier un faux Lean. Le cadre est ainsi posé !
Le client est-il vraiment au coeur du dispositif ?
Dans ces 4 critères pour détecter un faux Lean ou comment trouver le chemin du vrai, le premier est le client. Le Lean s’intéresse aux clients / utilisateurs pour les satisfaire complètement. Une entreprise qui prétend pratiquer le Lean sans que ses équipes opérationnelles passent une grande partie de leur temps à comprendre leurs clients (au-delà des Systèmes de Management de la Qualité ISO 9001 et consorts) se trompe totalement de sujet. Les équipes et le management se confrontent régulièrement aux clients et prennent leurs décisions avec ce prisme.
Le client est le point de départ du TPS, qui s’interroge sur la valeur apportée en se plaçant dans la perspective du client. Parce que la seule chose qui accroît la valeur dans quelque processus que ce soit – fabrication, marketing ou développement – est la transformation, physique ou sous forme d’information, du produit, du service ou de l’activité en quelque chose que le client attend. »
Source : Busting Lean Myths with Jeff Liker, Jeffrey Liker, The Leadership Network, 2019
L’approche lean commence par l’orientation sur la continuité de la satisfaction client. Tous les jours, on s’occupe des clients, et on y regarde à deux fois avant de s’embarquer dans des restructurations, consolidations, changements de système d’information et ainsi de suite qui vont interrompre la continuité de la satisfaction. »
Source : Commençons par arrêter le sabotage, Michael Ballé, Institut Lean France, 2019
Lire Le Lean, ce n’est pas pour réduire les coûts ! pour plus d’éléments.
Le respect des personnes (Toyota Way) est-il clé ?
On ne peut pas pratiquer du Lean ou prétendre être Lean sans respecter les personnes, les équipes, au sens large du terme, c’est-à-dire les salariés, les clients et les fournisseurs. Toyota parle d’humanité.
Je suis toujours surpris de voir que notre vision du Lean, basée sur le développement des personnes, le Lean pour les organisations apprenantes, n’est pas une vision vraiment triviale partout dans les grandes entreprises. Le Lean n’est pas la somme de recettes de gestion individuelle. La seule chose qui produit de la valeur, c’est les gens, leur savoir-faire et leur cerveau.»
Source : Lean & Leadership Entretiens avec des leaders Lean, Cécile Roche, L’Harmattan, 2021
La règle absolue chez Toyota est que la culture doit aider ceux qui exécutent le travail. La direction doit démontrer chaque jour son souci de la qualité, mais, in fine, la qualité est entre les mains des opérateurs. Et on ne peut pas leur dire qu’ils sont importants puis mettre en péril leur santé et leur sécurité pour atteindre les objectifs de production du jour. »
Source : Le modèle Toyota, 14 principes qui feront la réussite de votre entreprise, Jeffrey Liker, Pearson, 2012
La direction s’engage à permettre aux opérateurs de faire leur travail. C’est-à-dire de les décharger de tout ce qui n’apporte pas directement de valeur ajoutée. Cela implique de mettre l’usine au complet à leur service et non l’inverse comme d’habitude. »
Source : Le Gold Mine un récit lean, Freddy Ballé, Michael Ballé, L’Harmattan, 2014
From the executives to the shop floor workers performing the value-added work, Toyota challenges people to use their initiative and creativity to experiment and learn. »
Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021
Les cadres doivent réaliser qu’il leur faut écouter le personnel de l’usine et apprendre auprès de lui, afin d’être en mesure de lui apporter l’aide appropriée. »
Source : Gemba Kaizen® L’art de manager avec bon sens, M. Imai, Kaizen Institute, 2000
Et surtout, vous devez comprendre que l’élément essentiel à transformer, ce sont vos salariés. Ce sont les seuls de vos actifs dont la valeur s’apprécie. Les idées d’amélioration les plus pertinentes viennent de ceux qui effectuent le travail, pas de vous. Traitez-les avec le respect qu’ils méritent. »
Source : Le Virage Lean, Art Byrne, Pearson, 2013
Lire Lean et Qualité de Vie au Travail, les deux font la paire pour comprendre comment le Lean – contrairement à ce qu’on peut lire – aide les équipes à améliorer leur QVT.
La qualité est-elle obligatoire ?
Quoi de plus important que de satisfaire complètement ses clients par une qualité irréprochable ? La qualité est ce qui permet à une entreprise d’avoir un avantage concurrentiel et de faire de ses clients des promoteurs de la marque. Et en améliorant son niveau de qualité, l’entreprise baisse de facto ses coûts ! Si, si… De plus, orienter l’entreprise sur les clients et la qualité (re)donne du sens au travail que les équipes réalisent quotidiennement.
Aussi attractifs que soient le prix et les modalités de livraison proposés au client, ils ne serviront à rien si le produit ou le service pèchent par une qualité insuffisante. »
Source : Gemba Kaizen® L’art de manager avec bon sens, M. Imai, Kaizen Institute, 2000
Il est inutile d’acheter des produits ou des services d’où est absente la qualité, quelque attractif en soit le prix. En sens inverse, proposer des produits ou services de bonne qualité à un prix attractif et ne pas les livrer dans les délais voulus pour la quantité demandée correspondant aux besoins du client, cela n’a aucun sens. »
Source : Gemba Kaizen® L’art de manager avec bon sens, M. Imai, Kaizen Institute, 2000
L’objectif ultime serait carrément de faire disparaître notre métier. De nous rendre dispensables. Finalement, l’existence même du service client (les équipes de support ; NDLR) n’est justifiée que par les problèmes que les gens rencontrent avec le produit. Quand tout fonctionne comme prévu et que le produit est réglé comme du papier à musique, il n’y a plus besoin de service client. »
Source : L’obsession du service client. Les secrets d’une start-up qui a tout misé sur l’expérience clients, Jonathan Lefèvre, Dunod, 2018
J’apprécie beaucoup la manière avec laquelle Rose Heathcote explique comment la non-qualité devient normale :
I have seen several companies set-up entire processes (and departments) to deal with work that was not right the first time. What is more surprising is how they view it as a necessary part of the process. They do not see it as waste and go to lengths to fiercely protect it.
“No way is that a waste – we have to do it!”
Once rework becomes a part of standard work, we promote it from waste to ‘value-adding’. The abnormal becomes normal and appears to have belonged there all along. »
Source : Avoid the Costly Work of Rework, Rose Heathcote, Lean Enterprise Institute, 2020
On rappellera également ici que la première des 6 règles du Kanban est “Don’t send defectives to the subsequent process” (Kanban, Just-In-Time at Toyota – Management Begins at the Workplace, Japan Management Association, 1986). “Making defective products means investing material, equipment and labor in something that cannot sold. This is the greatest waste of all.”
Lire De l’importance de lire Gemba Kaizen® de Masaaki Imai pour d’autres éléments relatifs à la qualité et La force du Kanban réside dans sa compréhension ! pour comprendre comment le Kanban contribue à l’amélioration de la qualité.
Le management est-il formé et impliqué ?
Parmi les 4 questions qui pourront vous aider à trouver le chemin du vrai Lean, celle concernant le management n’est pas la moins importante.
Si, comme dans de nombreuses démarches / transformations Agile ou Lean, le management n’est pas impliqué, alors ce n’est pas du Lean. Le management et la chaîne managériale doit pratiquer le Lean, sans quoi c’est un échec cuisant ! Le Lean doit être une stratégie d’entreprise pensée sur le long terme.
En premier lieu, il est – malheureusement – nécessaire de rappeler que le Lean et l’Agile ne se décrètent pas. On ne peut pas dire du jour au lendemain « Nous devons être agiles » et ne pas mettre toute l’organisation de l’entreprise (y compris la direction) au service (pyramide inversée) de cette réussite. Les injonctions, ça ne fonctionne pas !
Si la volonté d’aboutir fait défaut et si le PDG ne s’implique pas suffisamment la transformation de l’entreprise reste morte.»
Premièrement, il vous faudra plusieurs années d’efforts [NDLR on n’accède pas à l’agilité de Toyota en trois ans] pour transformer la structure existante […] en configuration Lean [ou Agile] qui permet de voir et d’éliminer les gaspillages. Deuxièmement, vous vous heurterez à une résistance à tous les niveaux de la hiérarchie. Dans ces conditions, il est évident que la transformation par le Lean [ou l’Agile] ne se délègue pas. Sans un leadership fort qui impose à chacun de contribuer à améliorer les processus pour atteindre les objectifs financiers, rien ne bouge. »
Source : Le virage Lean, Art Byrne, Pearson, 2013
Si la direction souhaite que sa démarche Lean ne se résume pas à un flop retentissant, elle doit manager par l’exemple. C’est-à-dire s’impliquer réellement en considérant que son lieu de travail est le terrain avec les équipes.
Diriger à partir du terrain signifie diriger l’exploration de la stratégie depuis « la production » (terme générique englobant les fonctions support qu’elles soient en usine ou au bureau) en étudiant à fond les données factuelles et en reliant les points pour dessiner une nouvelle vision stratégique, plutôt que de plaquer ses propres idées préconçues à la réalité de l’activité. Diriger à partir du terrain n’est pas un processus aléatoire. C’est une démarche volontariste d’amélioration (du travail, des produits, de l’information), de mise au jour des entraves aux flux et de « pourquoi ? » posés sans relâche pour comprendre avec les équipes de terrain ce que sont les véritables problèmes. C’est un acte de leadership car cette exploration est rarement aisée ou intuitive.»
Source : La Stratégie Lean, M. Ballé, D. Jones, J. Chaize, O. Fiume, Eyrolles, 2017
L’intérêt pour la réussite de chacun dans son métier est très important en lean. La capacité du manager à voir la difficulté et à apporter son aide renforce la confiance de ses collaborateurs en leurs propres capacité d’apprentissage et d’exécution, et amenuise le stress auquel ils sont soumis. »
Source : La pratique du Lean management dans l’IT, M.-P. Ignace, Chr. Ignace, R. Médina, A. Contal, Pearson, 2012
Créer l’environnement dans lequel les personnes pourront mieux s’épanouir et créer de la valeur, individuellement et collectivement : comprendre les difficultés sur le terrain et aider à y apporter une réponse, former, faire grandir, donner du sens.»
Source : Lean & Leadership Entretiens avec des leaders Lean, Cécile Roche, L’Harmattan, 2021
Lire Pourquoi lire Le Virage Lean de Art Byrne ? pour mieux appréhender ce point. Je vous invite également à lire cet article du Lean Enterprise Institute écrit par Art Byrne lui-même : Ask Art: I Want to Convert My Company to Lean. What Are the First Steps?
Lire également De l’importance de lire Gemba Kaizen® de Masaaki Imai, OKR, n’oubliez surtout pas le rôle du management, mais également 4 raisons de lire «Lean et Leadership» de Cécile Roche.
Le Toyota Production System est-il respecté ?
En plus des 4 questions qui pourront vous aider à trouver le chemin du vrai Lean, un cinquième critère en cadeau ! Le vrai Lean (comme l’agile d’ailleurs) impose rigueur et respect du Toyota Production System (le système de production) ET du Toyota Way (système de management). En effet, le Jidoka, le Just-In-Time, les standards, le Kaizen, le respect des personnes (et d’autres) forment un système interconnecté.
Je vous invite à lire Lean, dogmatique ou exigeant pour percevoir la rigueur du système !
Je suis convaincu qu’on ne peut transformer une entreprise avec succès grâce à la stratégie Lean, sans adhérer le plus étroitement possible aux préceptes développés par Toyota. »
Source : Le Virage Lean, Art Byrne, 2013, Pearson
Utiliser les techniques les unes séparément des autres n’est pas faire du Lean. Considérer le Lean comme une boîte à outils est une erreur. Je pense, par exemple, au Kanban IT, qu’on trouve à toutes les sauces et rarement dans sa dimension Lean / TPS (lire La force du Kanban réside dans sa compréhension !).
L’une des caractéristiques de la technique Lean est de créer les bonnes conditions de travail pour un apprentissage quotidien par la pratique. C’est sans doute l’aspect du Lean le plus difficile à assimiler, celui qui exige de s’imprégner profondément du TPS à l’origine de ces techniques affinées au fil des décennies. »
Source : La Stratégie Lean, M. Ballé, D. Jones, J. Chaize, O. Fiume, Eyrolles, 2017
Je vous invite à vous rendre sur le site Lean & Learn de l’Institut Lean France pour découvrir comment les principes et techniques du Lean (TPS) sont totalement imbriqués.
Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai vu des «tableaux Kanban» utilisés sans les principes fondamentaux. Des équipes qui ne sont pas organisées (et qui n’en ont pas conscience) pour livrer au rythme du client (takt time). Dans ces cas-là, le rythme est celui de l’équipe, pas celui des demandes des clients. Des équipes qui poussent les cartes Kanban au lieu d’être en flux tiré (pull flow). D’autres qui ne cherchent pas à résoudre (Kaizen) les problèmes visibles… Le Kanban est un principe du pilier Just-In-Time qui tire en même temps le pilier Jidoka. Il ne peut s’utiliser correctement sans le reste des principes du Toyota Production System.
Sur le sujet du Kanban, lire l’article détaillé sur ses origines et son sens La force du Kanban réside dans sa compréhension.
Conclusion
Enfin, j’aurais pu ajouter le Kaizen pratiqué par l’ensemble des équipes, à l’opposé des déploiements massifs des meilleures solutions. Ou encore les standards qui sont la base de l’apprentissage et de l’amélioration. Et bien d’autres.
Donc, si vous êtes dans une entreprise qui dit pratiquer le Lean alors qu’au moins un de ces 5 critères n’est pas remplis, c’est qu’il y a un problème de compréhension, et c’est vraiment dommage…
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