Je vous propose aujourd’hui 3 raisons de lire Le Lean Aujourd’hui de Jean-Claude Bihr. Depuis plus de cinq ans, j’assiste (ou je les visionne en replay quand cela est possible) avec grand plaisir aux conférences de Jean-Claude Bihr, PDG de la société Alliance MIM. La plupart de ses interventions sont disponibles sur Internet : Sans Kanban, tout le monde ment ; Innover grâce au Lean ; La Leanovation ; The Lean Way to Green… Jean-Claude Bihr vient d’écrire son premier livre Le Lean aujourd’hui, qui est tout aussi passionnant que ses conférences.

On ne trouvera pas dans ce livre une explication de texte du fonctionnement Lean et Green d’Alliance MIM (j’espère toujours avoir l’occasion de la visiter un jour). On n’y trouvera pas non plus un cours sur les pratiques Lean et Green. L’auteur a fait le pari du roman pour traiter ces sujets complexes. J’ai eu l’impression de lire un prolongement du livre de Freddy et Michael Ballé Le Gold Mine, qui m’avait laissé une forte impression.

Julia, personnage central du livre, nous entraine dans sa vie, personnelle et surtout professionnelle. On fait la connaissance de ses collègues de travail, de Jean-Michel, responsable de secteur, et de Tom, pour ne citer que ces deux-là. Jean-Michel semble être une caricature du manageur. Pourtant, ils sont bien réels et encore trop présents dans nos entreprises. Ne leur jetons pas la pierre, notre système managérial est à revoir à bien des égards.

Un dirigeant français

C’est tellement rare qu’un dirigeant français prenne la plume pour écrire sur le thème du Lean qu’il n’est pas possible de passer à côté de ce livre. Certes, nous avons des exemples de dirigeants français qui pratiquent le Lean comme dans Lean en France (L’Harmattan, 2020) de Catherine Chabiron ou Lean & leadership Entretiens avec des leaders Lean (L’Harmattan, 2021) de Cécile Roche ou encore dans La Stratégie Lean (Eyrolles, 2017) de Michael Ballé, Dan Jones, Jacques Chaize, Orest Fiume. Mais les patrons français ayant écrit un livre sur le Lean se comptent sur les doigts d’une main, au maximum deux.

Par sa compréhension du Lean, par ses pratiques au sein de son entreprise, Jean-Claude Bihr montre et démontre que le Lean est possible en France ; que ce n’est pas une culture japonaise (très peu d’entreprises japonaises pratiquent le Lean / TPS de Toyota) et que ce n’est pas que du bon sens – c’est même souvent contre-intuitif – comme on peut l’entendre et le lire à droite ou à gauche, sinon tout le monde pratiquerait.

Bref, un belle opportunité de comprendre ce que l’auteur veut nous transmettre de ses connaissances et expériences.

Le Job Relation du TWI

Le fil rouge du livre est bien évidemment le Lean, mais l’auteur confronte le lecteur au Job Relation du programme de formation TWI (Training Within the Industry) utilisé par les États-Unis durant la Deuxième Guerre mondiale pour soutenir l’effort de guerre. Rosie, la grand-mère américaine de Julia, enseigne à sa petite-fille quelques uns des principes qui seront explicités plus tard par Maggie, amie de Rosie qui travaillait avec elle pour l’armée américaine dans les années 40.

On disait qu’un bon produit est issu d’une bonne relation. S’il n’y a pas de bonnes relations dans une organisation, il ne peut pas y avoir de coordination efficace et elle ne peut pas produire de bons résultats. […] Et l’autre chose qui est primordiale, c’est que la production est sacrée. On ne prend aucune décision qui risque de dégrader ou réduire la production. »
Source : Le Lean aujourd’hui, Jean-Claude Bihr, Afnor, 2021

Le point de départ du Job Relation est qu’ « un manageur obtient des résultats au travail grâce à ses collègues ». Il est donc important de comprendre quelles peuvent être les actions pour créer les bonnes relations et obtenir les bons résultats. Job Relation définit 4 fondamentaux pour obtenir ces bonnes relations :

  • Chaque personne doit savoir si elle a réussi sa journée ;
  • Récompenser quand il faut ;
  • Dire aux personnes à l’avance les changements qui vont les affecter ;
  • Employer les personnes selon leur capacités.

Dit comme cela, ça parait facile et tout le monde pense maîtriser au quotidien ces 4 fondamentaux. Tout comme nombre de manageurs pensent aider leurs équipes à réussir selon le pilier Respect des personnes du Toyota Way. Ce n’est pas parce qu’on donne des moyens (environnement de travail) ou qu’on est pote avec elles qu’on les fait réussir, c’est plus complexe (L’avenir, tu n’as point à le prévoir mais à le permettre).

Jean-Claude Bihr écrit que « les personnes sont ce qu’il y a de plus important », tout comme Art Byrne (Pourquoi lire Le Virage Lean de Art Byrne ?)

Et surtout, vous devez comprendre que l’élément essentiel à transformer, ce sont vos salariés. Ce sont les seuls de vos actifs dont la valeur s’apprécie. Les idées d’amélioration les plus pertinentes viennent de ceux qui effectuent le travail, pas de vous. Traitez-les avec le respect qu’ils méritent. »
Source : Le Virage Lean, Art Byrne, Pearson, 2013

Pour avoir des bonnes relations, il est important de prendre conscience que « les gens sont des individus et de les traiter en individualités ». Sans tomber dans l’image du bureau des pleurs et sans s’immiscer dans leur vie, traiter les gens comme des personnes uniques, c’est mieux comprendre ce qui les anime, ce qui les motive, ce qui les bloque ; comprendre pourquoi aujourd’hui cette personne n’arrive pas à faire correctement son travail. C’est ce que Julia va s’attacher à faire avec Tom, qui enlève les sécurités de sa machine pour travailler.

Le second concept du Job Relation est le traitement des problèmes.

Refuser d’affronter un problème, c’est refuser de se mettre en mode adaptatif. Plus les gens sont rigides dans leur tête, plus ils seront stressés et plus les relations seront complexes à établir. »
Source : Le Lean aujourd’hui, Jean-Claude Bihr, Afnor, 2021

Le traitement des problèmes, tel que préconisé par le Job Relation, s’appuie sur 4 étapes :

  • Obtenir les faits (en étant toujours sûr d’avoir toute l’histoire) ;
  • Évaluer et décider (en évitant de sauter directement aux conclusions) ;
  • Agir (en s’assurant que c’est de notre responsabilité) ;
  • Comprendre les conséquences de ses actes (en vérifiant les résultats).

Les managers existent parce qu’il y a des problèmes. Toi, comme moi, on est managers parce que le management considère que nous pouvons gérer ces problèmes. […] Apprends à aimer les problèmes. S’il n’y en avait pas, tu ne serais pas là. »
Source : Le Lean aujourd’hui, Jean-Claude Bihr, Afnor, 2021

La qualité, c’est Green

Nous savions déjà que la qualité est au centre des préoccupations du Lean. Masaaki Imai nous le rappelle sérieusement dans son livre Gemba Kaizen® L’art de manager avec bon sens (publié par le Kaizen® Institute en 1996 pour l’édition originale et en 2000 pour le 4e tirage de la version française). Bien qu’implicitement, je m’en doutais, je n’avais jusqu’à présent pas fait le travail intellectuel d’associer la qualité au Green ; ce que Jean-Claude Bihr explique très bien dans son livre :

À chaque fois qu’un défaut de qualité se crée, cela impacte l’environnement. Créer de la qualité est un acte écologique. À chaque fois que l’on crée du stock, on gaspille les ressources naturelles. Diminuer le stock est un acte écologique. À chaque fois que l’on conçoit un mauvais procédé, on génère de la pollution. Concevoir et fabriquer dans les limites du process est un acte écologique. »
Source : Le Lean aujourd’hui, Jean-Claude Bihr, Afnor, 2021

C’est tellement criant de vérité qu’il n’est pas possible de passer à côté ; y compris dans l’IT (mon domaine de prédilection) ou les services. En réfléchissant un peu, on peut percevoir l’impact écologique d’un incident de production : travail supplémentaire pour l’utilisateur pour tenter de contourner l’incident ; travail supplémentaire pour l’équipe support quand il y en a une ; travail supplémentaire pour l’équipe de développement… tout cela se transforme en consommation électrique supplémentaire : PC, serveur, stockage, lumière… Il serait intéressant de calculer cet impact écologique au regard du nombre d’incidents traités chaque année.

La non-qualité a également une incidence sur les personnes elles-mêmes en les mettant souvent dans une position inconfortable de surcharge d’activité, de stress, voire de la maladie avec un impact fort sur la santé. Du gaspillage d’humanité.

Bonus

L’auteur met à disposition des lecteurs, via un QR Code présent dans le livre, les cartes Job Relation présentées dans l’histoire, mais également une traduction française de la formation Job Relation du TWI.

Bonne lecture !

Vous pouvez également retrouver (ici ou ci-dessous) Jean-Claude Bihr interviewé par Anne-Lise Seltzer lors du Book Club de l’Institut Lean France.

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