Les OKR (Objective & Key Result) se développent de plus en plus au sein des entreprises qui souhaitent aligner l’opérationnel sur leur vision / stratégie. Mais n’oubliez surtout pas le rôle du management dans les démarches OKR sinon vous tomberez dans les travers du management par objectifs.
Je ne vais pas développer ici comment fonctionnent les OKR, il y a de très bons articles à ce sujet sur Internet et il y a bien évidemment le livre Mesurez ce qui compte Comment Google, Bono et la Fondation Gates ont révolutionné le monde grâce à la méthode OKR de John Doerr, 2019, Pearson (édition originale Measure What Matters: How Google, Bono, and the Gates Foundation Rock the World with OKRs, 2018, Portfolio/ Penguin).
Mes propos vont porter sur l’importance du manageur dans cette démarche d’OKR, car on peut y trouver – comme pour de nombreuses méthodes – le pire comme l’exceptionnel. Le pire arrive très vite quand le sens de la démarche est détourné – volontairement ou par incompréhension – et que celle-ci est réduite à une bibliothèque d’outils déconnectés les uns des autres. Autre moyen de rater sa démarche (agile, lean, OKR…) : décréter qu’il faut être agile (un exemple parmi tant d’autres) et ne pas donner aux équipes les moyens de réussir (injonction paradoxale).
Transformation d’entreprise
Les OKR (comme l’agilité, le Lean) se doivent d’être une stratégie d’entreprise durable et à ce titre, le changement doit venir du haut comme nous le dit Art Byrne :
Diriger le changement, c’est diriger par l’exemple. Il ne suffit pas d’envoyer des notes de services et de faire des discours. »
Source : Le Virage Lean, Art Byrne, 2013, Pearson
Malheureusement, dans nombre d’entreprises, les changements sont surtout pour les équipes opérationnelles – celles qui produisent de la valeur – et peu pour le management (qui devraient faire réussir les équipes au quotidien).
L’étape cruciale est de modifier la vision que l’on a de soi-même ; de passer de «manipulateur» de personnes en vue d’obtenir des résultats précis, à «développeur» de collègues compétents et autonomes qui vous aideront à construire les solutions permettant d’atteindre les objectifs que vous aurez cadrés. »
Source : La Stratégie Lean, M. Ballé, D. Jones, J. Chaize, O. Fiume, 2017, Eyrolles
Nombre d’études (françaises et étrangères) démontrent les difficultés d’engagement des salariés. D’autres révèlent l’écart entre la vision de l’entreprise comprise par quelques dirigeants et ce que les équipes opérationnelles en retiennent. Depuis des décennies, de multiples auteurs clament (probablement pas assez fort ; en tout cas en Occident) qu’il est temps de donner du sens et de créer les conditions de réussite des salariés. W. E. Deming (celui qui rendit populaire le PDCA, nommé également la roue de Deming) écrivait dans son 8e principe (sur 14) Faire disparaître la crainte :
Nous devons supprimer les distinctions de classe entre les personnes qui travaillent dans l’organisation. Mettre fin aux commérages. Cesser de réprimander les employés pour des problèmes provenant du système. Le management est seul responsable des fautes du système. Les gens ont besoin de se sentir en sécurité pour faire des suggestions. Le management doit tenir compte des suggestions. Les employés ne peuvent pas travailler efficacement s’ils n’osent pas demander quel est le but de leur travail, et s’ils n’osent pas faire des suggestions pour simplifier et améliorer le système. »
Source : Hors de la crise, W. E. Deming, 1982, Economica
L’étude réalisée en 2015 par MIT Sloan School of Management and the London Business School donne les chiffres suivants :
2/3
of companies struggle to implement their strategies
63%
of senior managers can’t name their firm’s top 3 priorities
40%
of employees that write down goals don’t check whether they’ve achieved them
50%
of employees know what is expected of them at work
Ce non-alignement stratégique génère de facto de l’incompréhension et les entreprises se retrouvent dans des situations où une bonne partie de leurs employés ne sait pas pour quelle raison elle travaille (où est le sens ?) et, pire, certains de ceux-ci produisent de l’inutile.

Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. »
Source : Le mythe de Sisyphe, Albert Camus, 1942
Dans l’excellent dossier La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité, on peut lire, entre autres :
La qualité du travail, dans les travaux d’Yves Clot, est assimilable à la notion de travail bien fait “qui consiste, pour le salarié, à atteindre les buts qu’il s’est fixés ou qu’on lui a fixés, et à parvenir ainsi à un résultat qui est défendable à ses propres yeux”. Il n’y a pas de qualité de vie possible au travail sans la possibilité d’effectuer correctement son travail. Il est en effet coûteux pour la santé d’être dans l’impossibilité de faire du bon travail, de n’avoir d’autre choix que de contribuer à un travail que l’on juge inabouti. C’est encore plus douloureux lorsqu’on sait comment il faudrait procéder pour réaliser du bon travail, mais que l’on en est empêché. La santé est ainsi mise en danger par la frustration liée à la performance “gâchée”. »
Source : La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité, 2016, La Fabrique de l’industrie

Les entreprises sont comme le Coyote dans Bip bip et Coyote (que les moins de vingt ans ne doivent probablement pas connaître). Tout le temps en train de changer de technique pour s’améliorer, mais sans vouloir / pouvoir comprendre que pour y arriver, des changements profonds et structurels sont nécessaires. La conséquence ? De petites améliorations ponctuelles alors que les résultats pourraient être plus considérables si les directions laissaient le temps au temps. Vous savez… comme cette entreprise japonaise qui dans les années 70 est venue chatouiller les moustaches des leaders mondiaux de la construction automobile. Ça fait plus de 70 ans qu’elle améliore son système sans déroger à ses principes !
Comme ils [les dirigeants avec un esprit de fini ; NDLR] portent un intérêt disproportionné aux résultats à court terme, les leaders à l’esprit de fini emploient souvent n’importe quelle stratégie ou tactique susceptible de les aider à faire du chiffre. Parmi leurs favorites : réduction des investissements en R&D, écrasement des coûts (par des moyens tels que vagues régulières de licenciements, baisse du prix et de la qualité des ingrédients utilisés dans les produits, contrôle de production ou de qualité moins rigoureux), croissance par acquisitions et rachats d’actions. »
Source : Le Jeu Infini, Simon Sinek, 2019, Pearson
L’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) propose beaucoup de matières pour bien comprendre ce qu’est la Qualité de Vie au Travail (la QVT), et notamment des vidéos explicatives. Ségolène Journoud, de l’Anact, précise :
Les entreprises ont parfois une vision de la qualité de vie au travail encore trop centrée sur la recherche de bien-être individuel : conciergerie, crèche, sport… les médias également. Avec ces films courts, nous voulons rappeler que le cœur de la qualité de vie au travail c’est le travail et les façons de l’améliorer ! Les démarches qualité de vie au travail en entreprises doivent permettre de faire progresser très concrètement et de façon combinée la qualité du travail, la performance et la façon dont les salariés vivent leur travail. »
Les OKR et le management
Les OKR étant un système d’alignement de l’entreprise au travers d’un management par objectif, il est naturel que les manageurs contribuent à l’atteinte des objectifs fixés. Je suis assez étonné de voir très peu de publications sur les OKR mettant l’accent sur l’importance du rôle managérial ; et pourtant… C’est comme s’intéresser au TPS (Toyota Production System) sans prendre en compte le Toyota Way (système de management inséparable du TPS) ou vouloir devenir une entreprise agile sans réfléchir aux nouvelles postures que doivent apprendre les manageurs. Bref, n’oubliez surtout pas le rôle du management dans les démarches OKR !
Je serais curieux de connaître le nombre de personnes pratiquant les OKR qui ont lu et qui se sont attardées sur la 2e partie Le Nouveau Monde du Travail du livre Mesurez ce qui compte de J. Doerr. Dans cette partie, il présente justement les changements nécessaires pour que les manageurs puissent aider les équipes à réussir.
La gestion continue de la performance est nécessaire pour faire surgir les questions cruciales. L’objectif était-il plus difficile que vous ne le pensiez au départ ? Avez-vous choisi le bon objectif ? Est-il motivant ? Devons-nous mettre les bouchées doubles sur les deux ou trois choses qui ont bien marché le trimestre dernier, ou est-il temps de pivoter ? Il importe de susciter ces points de vue de la part de tous vos collaborateurs. »
Source : Mesurez ce qui compte, John Doerr, 2019, Pearson
L’auteur met en avant la nécessité d’un dialogue fréquent entre les équipes et le management ; dialogue qui se concentre sur 5 questions :
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Comment cela se passe-t-il ? Comment vos OKR progressent-ils ? Quelque chose vous empêche-t-il d’avancer ? Que puis-je vous apporter pour que vous réussissiez (mieux) ? Comment avez-vous besoin d’évoluer pour atteindre vos objectifs professionnels ? »
Source : Mesurez ce qui compte, John Doerr, 2019, Pearson
Et ça change tout ! L’entreprise se met ainsi au service de ses équipes en les aidant dans leur réussite. La pyramide s’inverse, ce n’est plus le terrain qui vient au management, c’est le management qui va au terrain (le lieu où la valeur se crée). Andy Grove complète les objectifs de ces dialogues :
Le supérieur transmet au subordonné ses connaissances et son savoir-faire, et lui propose des solutions à ses problèmes. De son côté, le subordonné donne à son supérieur une information détaillée sur ses activités et ses préoccupations. […] Un point essentiel, c’est que cette réunion doit appartenir au subordonné qui décide de l’ordre du jour et du ton de la rencontre. […] Le supérieur est là pour s’informer et pour enseigner. […] Le manager doit également, au cours des tête-à-tête, encourager le subordonné à s’entretenir des sujets qui lui tiennent vraiment à cœur, car il s’agit là de l’occasion idéale pour déceler les problèmes délicats et graves auxquels se heurte le subordonné dans son travail. Est-il satisfait de sa performance ? Y a-t-il quelque frustration ou quelque inhibition qui le ronge ? Est-ce qu’il éprouve des doutes sur ses objectifs véritables ? »
Source : Mesurez ce qui compte, John Doerr, 2019, Pearson
Andy [Grove] pensait que le « subordonné » devait parler 90 % du temps de l’entretien. Quand je rencontrais mon supérieur chez Intel, il se concentrait principalement sur la manière dont il pouvait m’aider à atteindre mes résultats clés. »
Source : Mesurez ce qui compte, John Doerr, 2019, Pearson
Le management par objectif – et donc les OKR – crée un écart entre la valeur actuelle de l’indicateur utilisé dans le KR et sa cible pour contribuer à atteindre l’objectif. Cet écart, ce trou, ce vide est une forme de zone d’inconfort que le management doit transformer en zone d’apprentissage afin de rassurer ses équipes. Le management est le pont permettant aux équipes de passer de la situation A à la situation B.
On est donc ici sur 2 éléments importants du pilier Respect for People du Toyota Way, à savoir Créer les conditions de réussite et Développer les équipes. Bien évidemment, les OKR étant une démarche d’amélioration, on est donc également dans le pilier Amélioration Continue (Kaizen). Et comme pour les OKR, le rôle du management est majeur si l’entreprise souhaite que l’amélioration continue soit efficace et pérenne tout en donnant du sens au travail des équipes.
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