Il ne se passe pas 1 semaine, voire 1 jour, sans que j’entende ou lise à droite et à gauche que le Lean (je ne parle pas ici du Six Sigma ou du Lean Six Sigma) contient un 8e gaspillage : la non-utilisation de l’intelligence des personnes, également nommé non-exploitation de la créativité des employés.

Il est vrai que Jeffrey Liker référençait en 2004 ce 8e gaspillage dans son livre The Toyota Way – 14 Management Principles From The World’s Greatest Manufacturer :

Unused employee creativity. Losing time, ideas, skills, improvments and learning opportunities by not engaging or listening to your employees.”

Source : The Toyota Way – 14 Management Principles, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2004

On trouve ce même texte dans The Toyota Way Fieldbook, a practical guide for implementing Toyota’s 4Ps, autre livre bien connu de Jeffrey Liker et publié en 2006.

Si l’on relit dans son entièreté Taiichi Ohno’s Workplace Management et notamment la section Selected Sayings of Taiichi Ohno, on y trouve un point de vue tout à fait intéressant à propos de On the Seven Types of Waste :

I don’t know who came up with it but people often talk about “the seven types of waste.” This might have started when the book came out, but waste is not limited to seven types. There’s an old expression: “He without bad habits has seven,” meaning even if you think there’s no waste you will find at least seven types. So I came up with overproduction, waiting, etc., but that doesn’t mean there are only seven types. So don’t bother thinking about “what type of waste is this?” Just get on with it and do kaizen.”
Source : Taiichi Ohno’s Workplace Management, Taiichi Ohno, McGraw-Hill, 2013

Il faut comprendre ici que Taiichi Ohno nous indique qu’il n’y a pas que 7 types de gaspillages, mais que ces sept-là sont un point de départ pour en découvrir d’autres, et qu’il est important de les réduire. Déjà, voir les 7 premiers est parfois un défi quand nous ne sommes pas habitués à les repérer.

Dans la 2e édition de The Toyota Way – 14 Management Principles From The World’s Greatest Manufacturer qui vient de sortir, Jeffrey Liker retire le 8e gaspillage de la liste et ne conserve que les 7 gaspillages. Il l’explique ainsi :

In the original Toyota Way, I described an eighth waste, unused employee creativity, which I still think is perhaps the most fundamental waste. But it does not fit cleanly into this list. The seven wastes are obstacles to flow and are observable, while waste of employee creativity is a broader concept of what could have been. Throughout the book, I emphasize the centrality of continuous improvement at all levels to reduce waste in the process and how Toyota develops people to use their creativity.”
Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Les 7 gaspillages identifiés sont des obstacles visibles qui empêchent les pièces de circuler dans le flux et d’acquérir le maximum de valeur dans le minimum de temps

Oui, ne pas utiliser l’intelligence des personnes est le plus grand des gaspillages pour Toyota. C’est en mettant les personnes dans la disposition de réfléchir sur les 7 types de gaspillages que l’entreprise fait appel à leur intelligence et à leur créativité pour les réduire, voire les supprimer. C’est certain que si dans votre entreprise, seuls les manageurs ont le droit d’apporter des solutions ; c’est que vous êtes loin du Lean avec vos pieds plantés dans le taylorisme.

Jeffrey Liker démontre d’ailleurs dans cette nouvelle version que le Lean sollicite en permanence l’intelligence et la créativité des salariés ; quelques exemples :

From the executives to the shop floor workers performing the value-added work, Toyota challenges people to use their initiative and creativity to experiment and learn.”

Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Le 2e point (sur 5) de la philosophie de Sakichi Toyoda qui anime toujours l’entreprise Toyota d’aujourd’hui :

Always be studious and creative, striving to stay ahead of the times.”


Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Le Toyota Way précise, dans sa partie relative à l’esprit du challenge :

We accept challenges with a creative spirit and the courage to realize our own dreams without losing drive or energy.”


Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Le 8e bénéfice de fonctionner en One piece flow est

Unleashes creativity of people. One of the greatest benefists of One-Piece flow is that problems surface and challenge people to think and improve.”

Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Si je ne devais citer qu’un dernier exemple toujours tiré de la 2e édition de The Toyota Way – 14 Management Principles From The World’s Greatest Manufacturer :

The power of the Toyota Production System is what it unleashes creativity and continuous improvement.”


Source : The Toyota Way – 14 Management Principles 2nd edition, Jeffrey Liker, McGraw-Hill, 2021

Ne pas utiliser l’intelligence des personnes et leur créativité n’est pas dans la liste des 7 gaspillages habituellement identifiés, car le Respect des Personnes est intrinsèquement présent dans le système de production (TPS) de Toyota tout comme dans son système de management (Toyota Way). Cela fait partie du respect des personnes comme l’explique les auteurs de La stratégie Lean :

L’idée Lean du respect des personnes est d’afficher sa confiance absolue dans leur capacité à réaliser leur plein potentiel, dès lors qu’on les dote des compétences de base (cognitives ou non) dont elles ont besoin pour faire correctement leur travail, puis de les inciter constamment à réfléchir plus avant à ce qu’elles font (tout en les aidant lorsqu’elles rencontrent des difficultés qui les dépassent.»
Source : La Stratégie Lean, M. Ballé, D. Jones, J. Chaize, O. Fiume, Eyrolles, 2017

Le droit à l’échec est également un formidable accélérateur de développement de l’intelligence collective (ou non) et de la créativité comme le rappelle Art Byrne dans Le virage Lean :

Je leur disais que le fait de ne pas subir d’échec signifiait soit qu’ils restaient passifs, soit qu’ils s’économisaient au risque de provoquer plus tard l’Échec (avec un grand E) fatal à toute l’entreprise. Au début, mon attitude les déconcertait, mais lorsqu’il comprirent que personne ne les sanctionnerait, leur créativité ne connut plus de limites
Source : Le virage Lean, Art Byrne, Pearson, 2013

Si votre liste le gaspillage contient la non-exploitation de la créativité des employés, c’est que vous avez certainement oublié quelque chose dans votre approche du Lean.

Sources :

  • Taiichi Ohno’s Workplace Management, Taiichi Ohno, 1982, McGraw-Hill Education.
  • The Toyota Way – 14 Management Principles From The World’s Greatest Manufacturer, Jeffrey Liker, 2004 McGraw-Hill
  • The Toyota Way Fieldbook, a practical guide for implementing Toyota’s 4Ps, Jeffrey Liker & David Meier, 2006, McGraw-Hill
  • The Toyota Way – 14 Management Principles From The World’s Greatest Manufacturer, 2nd edition, Jeffrey Liker, 2021 McGraw-Hill
  • La stratégie Lean, Michael Ballé, Dan Jones, Jacques Chaize, Orest Fiume, 2017, Eyrolles
  • Le virage Lean, Art Byrne, 2013, Pearson

7 commentaires sur « Alors, 7 ou 8 gaspillages en Lean ? »

  1. le Lean Management peut aussi détériorer les conditions de travail si elles sont mal mises en œuvre, appliquées de manière directive, sans concertation, par un changement brutal : l’intensification du rythme de travail et de charge mentale sans réelles marges de manœuvre aboutit alors à une recrudescence de troubles musculo-squelettiques et de risques psychosociaux : Les risques organisationnels du Lean Management sur la santé au travail (lien supprimé).

    1. Bonjour et merci pour votre commentaire.

      Oui, vous avez raison ! Mais dans ce cas, ce n’est pas du Lean Management mais un ersatz ! Soit parce qu’il y a une totale incompréhension de ce qu’est le Lean Management, soit par intention volontaire de réduire les effectifs. Pourquoi ? Parce que ces entreprises n’utilisent que des outils venant de Toyota sans en prendre le système de valeurs et de management associé que l’on trouve dans le Toyota Way qui contient 2 piliers essentiels dont 1 nommé “Respect for people”. Le rôle d’un manageur Lean est d’assurer la sécurité (physique et mentale) des personnes et de faire réussir ses équipes au quotidien.

      Je me permets de vous renvoyer vers la lecture du livre “Le virage Lean” de Art Byrne pour lequel j’ai écrit un article ici : https://leanagilite.com/2020/05/16/pourquoi-lire-le-virage-lean-de-art-byrne/
      Bien à vous.

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