Paul, tout jeune embauché et débutant sa vie active, se trouve assigné à une migration technologique pour plusieurs dizaines d’agence. Ses tâches consistent au référencement / configuration des matériels informatiques et, bien évidemment, il n’a pas le droit à l’erreur, car celle-ci pourrait avoir des conséquences non négligeables sur le fonctionnement de l’entreprise. Autant dire que Paul se retrouve avec de fortes responsabilités pour ses débuts.

Certes Paul a été briefé et bénéficie de l’aide de ses collègues de travail, mais il n’est pas confiant pour autant quand il doit valider une opération. Comment le standard Lean pourrait aider Paul à trouver de la sérénité dans son travail ?

Paul est nouveau et il reprend le travail d’un de ses collègues expert sur ce sujet. Pour Jeffrey Liker, dans Le modèle Toyota, 14 principes qui feront la réussite de votre entreprise, le 6e principe est relatif au standard :

La standardisation des tâches est la base de l’amélioration continue et de la responsabilisation des employés. »


Source : Le modèle Toyota, 14 principes qui feront la réussite de votre entreprise, Jeffrey Liker, 2012, Pearson

en précisant, entre autres :

Capturez tout ce que vous avez appris sur un processus jusqu’à un certain moment, en standardisant les meilleures pratiques telles qu’elles existent aujourd’hui. Laissez la créativité et l’expression individuelle améliorer ces pratiques, puis créez de nouveaux standards pour transmettre cette connaissance au successeur de celui qui part. »
Source : Le modèle Toyota, 14 principes qui feront la réussite de votre entreprise, Jeffrey Liker, 2012, Pearson

Comme indiqué dans mon précédent article Le standard, point d’entrée du Kaizen, le standard vise, entre autres, à permettre aux personnes de savoir si elles réalisent correctement leur travail, ce qui n’est pas le cas actuellement pour Paul. Cela ne veut pas dire qu’il ne le fait pas bien, cela veut dire qu’il n’est pas en capacité de le contrôler ; c’est-à-dire de s’auto-contrôler. C’est un des éléments-clés du Jidoka que de construire la qualité dans le produit en détectant les problèmes dans le processus. Et c’est également, un fondamental du 2e pilier Respect des personnes du Toyota Way : Créer les conditions pour réfléchir et réussir.

De nombreux nouveaux embauchés (ou toute nouvelle personne arrivant dans un service), se retrouvent avec une forme d’injonction : «Alors pour faire ça, tu regardes les documents [quand il y en a] dans le répertoire « machin » [qu’ils vont mettre 10 minutes à trouver] et tu dois avoir les procédures X, Y et Z dans la « base de co », mais ça m’étonnerait qu’elles soient à jour car on n’y a pas touché depuis des lustres. Et puis, on est là si tu as besoin, hein !» Sans oublier le fameux «Ah, au fait, tout doit être terminé pour fin du mois, sinon on va encore se prendre une gueulante par le chef !».

Vous qui lisez cet article, je suis persuadé que vous vous êtes retrouvés au moins une fois dans cette situation lors de votre vie professionnelle. Pour ma part, ça m’est arrivé tellement de fois, que je n’ai pas assez de mains pour les compter…

Le département dans lequel se trouve l’équipe de Paul est entré dans une démarche de transformation pour intégrer les principes et les techniques du Lean Management. Lors du point quotidien, Paul expose – du bout des lèvres, il est nouveau – ses craintes et son manque de confiance dans ce qu’il fait.

Ce qui fait écho au 8e principe (sur 14) de W. E. Deming :

Faire disparaître la crainte.
Nous devons supprimer les distinctions de classe entre les personnes qui travaillent dans l’organisation. Mettre fin aux commérages.
Cesser de réprimander les employés pour des problèmes provenant du système. Le management est seul responsable des fautes du système. Les gens ont besoin de se sentir en sécurité pour faire des suggestions. Le management doit tenir compte des suggestions. Les employés ne peuvent pas travailler efficacement s’ils n’osent pas demander quel est le but de leur travail, et s’ils n’osent pas faire des suggestions pour simplifier et améliorer le système.
»
Source : Hors de la crise 3e édition, W. Edwards Deming, 2013, Economica

L’équipe décide donc de créer un standard et c’est Cathy, l’experte, qui le rédige. Il ne s’agît pas de simplement lister les actions à réaliser comme l’on peut souvent en trouver dans nombre de procédures, mais surtout d’y ajouter le sens en répondant aux questions «Pourquoi cette étape est importante ?» et «Pourquoi la réaliser maintenant et pas plus tôt / tard ?». Cela paraît, dans un premier temps, fastidieux, mais le gain en matière de compréhension de la logique est important.

À ce sens s’ajoute la colonne «Points-clés et auto-contrôles». Celle-ci est nécessaire, car elle permettra à la personne, en l’occurrence Paul, de pouvoir se dire «Ok, je peux passer à l’étape suivante !» ou «Là, ça ne le fait pas, il y a quelque chose d’anormal !» Prendre le temps de remplir cette colonne est primordial pour intégrer la qualité dans le processus, détecter les défauts au plus tôt pour éviter les contrôles a posteriori. Ainsi, le standard Lean permet de réduire de façon drastique la variabilité des résultats.

Contrairement à ce que pensent certaines personnes, le standard Lean n’abrutit pas les salariés. Bien au contraire, il leur permet de se concentrer sur les éléments importants. Certes, si le standard n’évolue pas pendant des années et que les personnes l’exécutent sans se poser de question pour l’améliorer, il est clair qu’une forme d’abrutissement s’installera. Mais c’est faire fi d’une des finalités du standard Lean, celle d’utiliser l’intelligence des personnes (les sachants = ceux qui font sur le terrain) pour l’améliorer régulièrement (en perfectionnant un geste, en supprimant une étape qui n’est finalement que du gaspillage par rapport à la valeur que l’on souhaite délivrer aux clients…) !

Cathy a fini de rédiger le standard et malgré le temps que cela lui a pris, elle ressent une certaine fierté à le présenter lors du point quotidien. Pour autant, ce n’est pas terminé. Pas question de dire à Paul de se débrouiller avec ce standard, sinon c’est retomber dans les travers du taylorisme. Cathy et Paul vont travailler en binôme : Cathy va réaliser le travail et expliquer à Paul l’ensemble des étapes, puis Paul va faire de même sous le regard de Cathy. Si des écarts de résultats sont observés lors des gestes exécutés par Paul sur la base de ce qui a été écrit par Cathy, ils mettront à jour le standard jusqu’à ce que ces écarts disparaissent.

Nous voilà maintenant avec un Paul rassuré ! Il a toutes les conditions entre les mains pour réussir son travail sans stress particulier. De plus, il sait qu’il peut, une fois le standard maîtrisé, réfléchir tout seul ou avec Cathy à l’amélioration de ce dernier.

Il est important de ne pas oublier les mots de Taiichi Ohno sur le standard :

When creating standard work, it will be difficult to establish a standard if you are trying to achieve “the best way.” This is a big mistake. Document exactly what you are doing now. If you make it better than now, it is kaizen. If not, and you establish the best possible way, the motivation for kaizen will be gone. That is why one way of motivating people to do kaizen is to create a poor standard. But don’t make it too bad. »
Source : Taiichi Ohno’s Workplace Management, Taiichi Ohno, 1982, McGraw-Hill Education

Sans oublier que le standard est le point d’entrée du Kaizen :

Without some standard, you can’t say, “We made it better,” because there is nothing to compare it to, so you must create a standard for comparison. Take that standard, and if the work is not easy to perform, give many suggestions and do kaizen. »

Et vous, comment intégrez-vous les nouvelles personnes dans vos équipes ?

Note : article initialement publié par mes soins sur le blog d’Operae Partners.

6 commentaires sur « Standard Lean, pour former et stabiliser avant d’améliorer »

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