Pour faire suite au précédent article Lean et Qualité de Vie au Travail, les deux font la paire qui visait à montrer que le vrai Lean management, celui qui développe les personnes par la résolution des problèmes, va dans le sens d’une vraie démarche de Qualité de Vie au Travail, celui-ci se propose de mettre en évidence que le Lean, correctement pratiqué, est une si ce n’est la réponse aux exigences de la QVT.

Le préambule de l’accord national interprofessionnel (ANI) Qualité de Vie au Travail de juin 2013 précise que

[…], la qualité de vie au travail désigne et regroupe sous un même intitulé les actions qui permettent de concilier à la fois l’amélioration des conditions de travail pour les salariés et la performance globale des entreprises, d’autant plus quand leurs organisations se transforment. De ce fait, la question du travail fait partie intégrante des objectifs stratégiques de l’entreprise et doit être prise en compte dans son fonctionnement quotidien afin, notamment, d’anticiper les conséquences des mutations économiques.

L’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail), sous la tutelle  du ministère du Travail, précise, dans son guide 10 questions sur la Qualité de vie au travail que

L’objectif d’une démarche QVT est de « penser le contenu du travail » lors des phases de conception, de mise en œuvre et d’évaluation des projets techniques ou organisationnels.

Dans une interview, Isaac Getz (auteur de Liberté & Cie) ne dit pas autre chose :

Je trouve que souvent les démarches dites de qualité de vie au travail passent à côté de l’essentiel. On part du principe que le travail ne s’exerce peut-être pas dans de bonnes conditions matérielles. Certes, les conditions matérielles doivent être bonnes, mais ce n’est pas parce que le salarié jouit d’un meilleur siège ou d’une crèche d’entreprise qu’il estime qu’on fait confiance à son intelligence ou qu’on lui donne possibilité de se réaliser. À la limite, si une entreprise concurrente lui offre une meilleure qualité de vie il quittera son entreprise actuelle. Il n’est donc pas engagé. Le changement à réaliser doit être beaucoup plus profond si on veut que les salariés aient envie chaque matin de venir et de donner le meilleur d’eux-mêmes.

Le Lean Management permet de « penser le contenu du travail » à toutes les étapes, mais également (et surtout) pendant les heures de travail : Job = Work + Kaizen.

Le triptyque de la Qualité de Vie au Travail

Le guide 10 questions sur la Qualité de vie au travail de l’Anact précise le triptyque sur lequel se fonde la perception de la Qualité de Vie au Travail :

  • Les conditions : environnement de travail ; condition d’emploi ; conditions de vie extraprofessionnelles en relation avec le travail (les transports par exemple) ;
  • La capacité à s’exprimer et à agir : participatif ; partenariat social ; soutien managérial ; soutien des collectifs (travail en équipe par exemple) ;
  • Le contenu du travail : autonomie au travail ; valeur du travail (le sens, relatif au sentiment d’utilité) ; travail apprenant ; travail complet.

Le Lean, quand il est une stratégie d’entreprise et donc pratiqué par l’ensemble de celle-ci, c’est-à-dire depuis la direction jusqu’aux opérationnels, répond à l’ensemble des points du triptyque.

Les conditions

Le premier principe du Lean est safety first ! L’article précédent propose une manière de capter des problèmes d’environnement de travail rencontrés par les salariés. La démarche 5S est une façon pérenne – quand l’équipe arrive à dépasser les 2 premiers S – d’améliorer significativement les conditions de travail et notamment l’environnement.

Lire les articles suivants pour commencer à appréhender le 5S :

Cécile Roche, directrice Lean et Agile du groupe Thales, écrit dans son livre Petit guide Lean à l’usage des Managers, 2013, L’Harmattan :

La sécurité et la satisfaction des salariés sont la base de toutes les actions Lean, viennent ensuite la satisfaction des clients par la qualité, puis la maîtrise et enfin la réduction des délais. Un effet durable sur les coûts est une conséquence de ce qui précède.

La capacité à s’exprimer et à agir

Avant d’agir, il est nécessaire d’apprendre à voir les choses et de se donner la capacité de remettre en question la manière de travailler et les habitudes. Les principes sous-jacents du management visuel sont comprendre, voir et agir. Il permettent le développement de l’auto-organisation de l’équipe qui les pratique. Les indicateurs présents dans le management visuel sont ceux de l’équipe, orientés vers la satisfaction du client, ils permettent à l’équipe de mesurer et comprendre comment elle contribue – à son propre niveau – à l’atteinte de l’Étoile du Nord fixée par la direction. Ces indicateurs ne sont en aucun cas le reporting du management mis sur un mur ou une nouvelle façon pour le management de contrôler son équipe.

Le management visuel offre la possibilité à toute l’équipe de se questionner au quotidien sur son travail, à la fois vis-à-vis de la satisfaction de ses clients et vis-à-vis de la pertinence des tâches et étapes des processus qu’elle actionne (lire Le Management Visuel, pour quoi faire ?)

Nombre de personnes que nous coachons nous ont dit qu’avec le Lean et notre accompagnement, elles découvraient leurs clients ; ce qui est, pour des personnes en place depuis des années, un sacré paradoxe ! Elles passaient d’un système leur disant de faire telle ou telle chose pour satisfaire le client (cas du fournisseur qui définit lui-même les attentes des clients, pensant mieux les connaître qu’eux-mêmes) à un système d’apprentissage fréquent et régulier des attentes des clients. Ainsi, ces personnes sont en capacité de satisfaire complètement leurs clients et de réajuster, la plupart du temps en autonomie – c’est-à-dire sans être obligé d’attendre une décision du management, leurs standards d’equipe (ou individuels).

Lire les articles suivants pour plus d’informations sur le management visuel :

Quand nous aidons les équipes à mettre en place le daily meeting (dont l’un des objectifs est de collecter les obstacles opérationnels que le manager va prendre en charge pour aider l’équipe), la visite du sponsor / manager sur le terrain, un indicateur de qualité de vie au travail, les PDCA et leur présentation à l’équipe ou à d’autres, nous leur donnons les moyens de construire autant de moments d’expression et de partage qu’elles n’avaient pas auparavant. Les collaborateurs peuvent s’exprimer et sont écoutés par leur(s) manager(s), que nous coachons également pour leur permettre d’adopter le bon état d’esprit, les bonnes attitudes et les questions pertinentes qui permettent de challenger – si besoin – sans être dans l’autorité.

Plusieurs expériences vécues par les coachs Operae Partners nous ont démontré la fierté que ressentent les équipes quand leurs managers font une visite sur le terrain (le gemba) avec leurs supérieurs, voire leurs dirigeants, et que ces derniers s’intéressent vraiment à leur travail. S’intéresser veut dire s’asseoir à côté du collaborateur et l’écouter expliquer ce qu’il fait et comprendre ses difficultés quotidiennes. C’est également écouter des personnes présenter des PDCA, qui sont autant d’actions d’amélioration réalisées par l’équipe sans que ce soit une autre équipe (direction audit et qualité par exemple) mandatée par la direction qui vienne le faire. Le résultat du PDCA est important, mais ce qui l’est plus encore c’est le raisonnement utilisé par la personne (ou le groupe de personnes) pour résoudre le problème. On n’oubliera pas dans ces moments de partage les explications factuelles et précises sur le comportement des indicateurs de performance apportées par le team leader assisté de son équipe.

Pour plus d’informations sur le manager Lean, je vous invite à lire les articles suivants pour commencer :

Le Lean permet également de tuer la stigmatisation, car ceux qui pratiquent la démarche s’intéressent au «Quoi» et au «Comment résoudre» plutôt que chercher le «Qui» (le coupable) comme l’explique l’article Tuer la stigmatisation avec le Lean Management.

Le contenu du travail

C’est là que le bât blesse dans la plupart des démarches d’amélioration de la Qualité de Vie au Travail, car peu prennent vraiment en compte le travail. Elles s’attachent le plus souvent aux à-côtés comme l’indique Ségolène Journoud de l’Anact :

Les entreprises ont parfois une vision de la qualité de vie au travail encore trop centrée sur la recherche de bien-être individuel : conciergerie, crèche, sport… les médias également. Avec ces films courts, nous voulons rappeler que le cœur de la qualité de vie au travail c’est le travail et les façons de l’améliorer! Les démarches qualité de vie au travail en entreprises doivent permettre de faire progresser très concrètement et de façon combinée la qualité du travail, la performance et la façon dont les salariés vivent leur travail.

Remarque : l’article et les films courts évoqués dans la citation ci-dessus sont disponibles ici.

«Faire progresser très concrètement et de façon combinée la qualité du travail, la performance et la façon dont les salariés vivent leur travail» : le Lean Management répond entièrement à cette assertion qui devrait devenir une rengaine pour l’ensemble des directions d’entreprise. En effet, le Lean contribue à la compétitivité des entreprises en :

  • satisfaisant complètement les clients, ce qui a une influence directe sur le chiffre d’affaires en pérennisant les clients actuels (qui deviennent promoteurs des produits et services) et en acquérant de nouveaux clients séduits par la réputation de qualité des prestations de l’entreprise.
  • améliorant la performance opérationnelle des équipes par la suppression des gaspillages – les fameux Muda (surproduction, attentes, transportétapes inutilesmouvements inutiles, corrections et retouches) – qui ne sont que des coûts supplémentaires. Cette réduction offre donc un avantage compétitif (exemple à lire : Les effets de la non-qualité sur la qualité de vie au travail et la compétitivité).
  • développant les collaborateurs par la résolution des problèmes en utilisant la démarche scientifique de résolution de problème (dont nombre de principes sont déjà présents dans le Discours de la méthode de Descartes) définie par Shewhart et Deming : le PDCA.

Attention toutefois de ne pas réduire le Lean à LA suppression des gaspillages, comme l’explique Marie-Pia Ignace dans l’article Prendre son temps avant de s’attaquer aux gaspillages !

Le rôle du manager est de libérer du temps aux personnes, c’est-à-dire du temps pris sur le temps de la production. L’amélioration continue n’est pas une activité masquée, elle fait partie du temps de travail (lire Le rôle du manager Lean : organiser le temps de travail entre Production et Kaizen de Christian Ignace). Seules les entreprises qui comprennent cela réussissent vraiment dans l’amélioration de leurs performances.

Le PDCA, démarche scientifique de résolution de problème, est le moyen pour chaque collaborateur de contribuer à l’amélioration du travail, du sien et celui de ses collègues. Il s’agit bien ici du contenu du travail et pas de l’environnement de travail. C’est se poser, par exemple, la question sur l’intérêt de faire un contrôle manuel de fichiers de plusieurs dizaines de milliers de lignes alors qu’ils sont déjà supervisés par un outil informatique. C’est s’interroger sur la perte de temps – et l’intérêt – de corriger des dossiers qui ne sont pas bons du premier coup ou d’avoir au sein d’une équipe une – ou plusieurs – personnes à temps complet (quel sens donner à ce travail ?) en charge de la correction d’anomalie au lieu de mettre en place des techniques permettant de faire bon du premier coup.

La réduction des gaspillages et l’amélioration continue par les PDCA permettent de maximiser le temps de création de valeur pour le client afin de le satisfaire pleinement tout en redonnant du sens au travail quotidien des personnes.

Par la réflexion qu’imposent le PDCA, la recherche des causes racines (en n’oubliant pas de les valider sur le terrain), l’expérimentation des actions (qui doivent également être vérifiées sur le terrain) pour résoudre le problème, la création ou la mise à jour de standard (lire la traduction d’un article de Michael Ballé Considérez le standard comme un kata, pas comme une règle), les personnes développent leurs compétences ; elles apprennent ! Le manager n’apporte pas de réponse (même s’il en connait) aux problèmes de l’équipe ; il la soutient dans ses résolutions. Le bébé apprend par lui-même à marcher : il tombe, se relève, tombe une nouvelle fois, se relève d’une manière différente ou change sa posture pour avoir plus d’équilibre… Il apprend ! Il en est de même pour les collaborateurs qui pratiquent la résolution de problème avec le PDCA. Imaginez un instant ce qui se passerait si les parents expliquaient aux bébés comment ils doivent marcher…

Le Lean permet également d’adapter, voire modifier radicalement, les relations entre les personnes et leur management. En effet, le Lean Management s’appuyant sur les valeurs du Toyota Way, nous passons d’un système command & control à un système de management mettant véritablement l’humain au centre du dispositif ; que ce soit avec des managers au service de leurs équipes (la pyramide inversée), le respect des personnes, l’autonomie, la confiance, le droit à l’erreur, le développement des personnes…

Enfin, le Lean est une révolution cognitive (qui concerne l’acquisition des connaissances) et pas organisationnelle ; nous ne cesserons pas de le répéter !

J’ai conservé une phrase – parmi d’autres – dite par Michael Ballé lors du Lean Summit de 2016 :

Le Lean est une libération de notre conditionnement tayloriste.

Je la vérifie à chaque fois que j’accompagne une équipe dans une démarche Lean, que ce soit au niveau des opérationnels ou des managers.

Et vous, que faites-vous pour améliorer la Qualité de Vie au Travail et avoir une influence significative sur la réduction des accidents du travail (626 000 dont plus de 10 000 affections psychiques reconnues en 2016 – source Santé travail : enjeux et actions, janvier 2018, l’Assurance Maladie Risques Professionnels) ?

 

Note : article initialement publié par mes soins sur le blog d’Operae Partners.

3 commentaires sur « Repenser le travail avec le Lean pour développer la Qualité de Vie au Travail »

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